On dit souvent aux femmes de « retourner dans leur cuisine » car ce serait là-bas qu’est leur juste place. Je me suis penchée sur cette absurde affirmation, et je me suis rendue compte en observant le milieu des bars et restaurants qu’elles y vivaient beaucoup de violence. Comme si nourrir était leur rôle, jusqu’au moment où ce rôle leur donnait notoriété, visibilité et salaire. Les femmes demeurent ainsi tristement sous-représentées dans le domaine.
J’ai animé ce jeudi un afterwork, intitulé « quelle place pour les femmes dans l’HORECA et dans le secteur food ? Quels défis ? ». Cette rencontre enrichissante a permis d’aborder d’aborder divers enjeux cruciaux.
Les cuisines : un monde violent
L’un des défis majeurs auxquels sont confrontées les femmes est la violence et le sexisme persistants. #JeDisNonChef a mis en lumière les expériences de femmes, y compris dans les écoles de cuisine, où le harcèlement et la discrimination sont monnaie courante. Chantage sexuel, remarques sexistes au quotidien, gestes déplacés, rien n’est épargné. Dans un environnement où le stress et la pression sont élevés, les comportements toxiques et les abus sont trop fréquents, et largement passés sous silence.
Écho à cette culture : les coutumes culinaires, utilisant un vocabulaire guerrier pour décrire le fonctionnement de leur cuisine, comme « une brigade » au lieu d’une « équipe », témoignant des codes très masculins qui y dominent. Les stéréotypes du cuistot masculin qui hurle pour se faire respecter, véhiculés un peu partout, contribuent à maintenir cette atmosphère délétère.
Il est impératif de transformer cette culture pour créer des espaces de travail respectueux et bienveillants où chacun·e peut exercer sa passion.
Le feu, c’est pour les hommes
La répartition genrée des métiers est un obstacle important pour les femmes dans le secteur. Les chiffres sont révélateurs de cette inégalité persistante. En Belgique, on compte seulement 5% de cheffes étoilées, contre 11% en France. Soit 16 femmes cheffes étoilées en Belgique sur 119 au total.
Cette situation découle en partie de la façon dont le métier de cuisinier est traditionnellement conçu. La sociologue Martine Bourelly, sociologue, souligne comment le métier de cuisinier est perçu comme viril et masculin, tandis que la cuisine domestique est reléguée au domaine féminin. Cette division entre le public et le privé contribue à maintenir les femmes dans des rôles subalternes et à les exclure des sphères de pouvoir et de prestige.
Être chef, un rôle d’homme, être sommelier, un rôle d’homme, etc. Les propos de Paul Bocuse, l’un des chefs les plus renommés de l’histoire de la gastronomie française, illustrent cette mentalité patriarcale. Il déclare :
« Je pense que le feu est un métier d’homme. C’est la magie du feu et ce sont les hommes qui s’en emparent. (…) Je n’aime pas me coucher la nuit avec une femme qui sente la cuisine. »
Une fois leur entrée dans le monde des cuisines, les femmes doivent faire face à un manque d’opportunités, de médiatisation et de valorisation pour faire avancer leur carrière. Le fonctionnement en « boys club », où les experts se soutiennent mutuellement et favorisent la promotion des projets de leurs pairs, que ça soit dans les guides gastronomiques, les prix culinaires, les articles de presse, les femmes sont limitées quant à la reconnaissance du secteur.
Et lorsqu’elles veulent faire différemment, c’est le drame. Je pense au cas de Manon Fleury, cheffe française à la tête du restaurant étoilé Datil. Après avoir participé à une émission TV où elle a dit embaucher exclusivement des femmes dans son restaurant, elle a été la cible de harcèlement en ligne et un raid d’avis négatif teintés de misogynie sur la fiche de son restaurant.
Soutenir l’entreprenariat féminin
L’entrepreneuriat dans le secteur de l’HORECA présente des défis spécifiques. Outre les obstacles habituels liés à la création d’une entreprise, telles que le financement et la gestion, les femmes doivent souvent jongler avec les responsabilités familiales, du travail gratuit, qui leur incombent encore largement. Les horaires de travail irréguliers et les sacrifices personnels exigés par une carrière dans la restauration peuvent rendre difficile la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Barbara Trachte, Secrétaire d’État bruxelloise à l’Économie, a notamment initié de nombreux projets visant à soutenir les femmes entrepreneures. Cela comporte : des aides ciblées, des initiatives de visibilisation des femmes entrepreneures et des efforts pour déconstruire les stéréotypes de genre.
En créant un environnement propice à l’épanouissement professionnel des femmes, y compris dans le secteur food, nous enrichissons non seulement le secteur de la gastronomie, mais aussi notre société dans son ensemble.
Pour aller + loin :
Sandrine Goeyvaerts et son livre, Manifeste pour un vin inclusif : https://www.nouriturfu.com/nos-livres/manifestevininclusif
Les travaux de Martine Bourelly, sociologue, https://www.researchgate.net/publication/275912690_Cheffe_de_cuisine_le_cout_de_la_transgression
#JeDisNonChef contre le sexisme dans le secteur : https://www.instagram.com/jedisnonchef/
Envoyé Spécial, Marion Fleury, les cuisines au féminin : https://www.france.tv/france-2/envoye-special/5829639-manon-fleury-defend-une-cuisine-au-feminin.html
Le podcast Girls in Food et notamment l’épisode avec Elisabeth Debourse (rédactrice en cheffe du Fooding) : https://open.spotify.com/episode/485CJE1eOC8WS3jYELUlOu?si=CZsnmdmCToC8ijI_I8tZug
Le projet régional pour booster l’entrepreneuriat féminin de Hub : https://womeninbusiness.hub.brussels/
Le projet de Noémi pour la feed durable : https://www.minglefood.be/
Les portraits des 6 femmes qui nous nourrissent, Axelle Mag : https://www.axellemag.be/six-femmes-qui-nous-nourrissent/