« On n’a pas le droit d’aller au milieu de la cour, les garçons ne veulent pas » est une phrase qu’on entend souvent de la bouche des filles dans les cours de récréation. Et si la configuration de l’espace de nos écoles avait un impact sur la façon dont les futurs adultes se répartiront l’espace public ? Le fait de reléguer les filles à la périphérie physique de la cour de récré esquisse déjà les contours de la place que certaines d’entre elles seront invitées à occuper dans la société. Pourquoi pas dès lors plaider pour des espaces aménagés différemment, plus inclusifs ?
L’aménagement d’une rue, la répartition des infrastructures sportives dans un hall omnisport, la disposition d’une station de métro : bien souvent, la façon dont notre société organise l’espace n’est pas neutre du point de vue du genre. Majoritairement, ces espaces sont construits pour correspondre aux besoins d’un homme adulte en bonne santé. Il suffit de regarder par la fenêtre pour l’observer :
- Des trottoirs trop hauts qui empêchent un passage facilité en poussette ;
- Une entrée de métro peu éclairée la nuit, augmentant le sentiment d’insécurité ;
- Un parc sans toilettes publiques, alors qu’une femme n’a pas d’autre choix que d’y avoir recours.
Les écoles n’échappent pas à la règle. Certains aménagements de nos écoles excluent ou marginalisent les filles, et ce, en particulier dans les cours de récréation. Dans plusieurs écoles, la structuration des espaces met quasiment systématiquement les garçons au centre et les filles à la périphérie. Ainsi est-il courant d’entendre « on n’a pas le droit d’aller au milieu de la cour, les garçons ne veulent pas » de la bouche des filles. C’est le cas par exemple lorsqu’un terrain de football et de basket occupent le centre de la cour, alors que ces sports comptent aujourd’hui encore peu de filles.
J’ajouterai que des observations ont montré que les garçons qui jouaient au foot dans la cour, ne font en général que cela, ce qui fait qu’ils se privent de tout un univers créatif lié aux autres jeux. Les expériences sur la mixité des cours de récré ont eu un impact positif sur les garçons qui s’essayaient à des activités plus diversifiées. Elles ont également eu un effet positif sur les garçons peu intéressés par le foot ou le basket, qui étaient précédemment vus comme marginalisés, et qui tout à coup retrouvaient une place plus grande dans les activités de la récréation. Comme toujours, l’égalité a du bon, pour les deux sexes.
Ce qui peut sembler très banal est en fait une pratique qui augmente le risque d’induire chez le garçon dès l’école, mais aussi plus tard dans sa vie d’adulte, des comportements d’appropriation sexiste de l’espace public, et plus largement une normalisation de cette façon de penser l’espace. L’école est le premier “espace public” fréquenté par une personne.
Je sais que très souvent, lorsque l’on parle des grands défis de notre société, certains nous sautent aux yeux. Une série de défis sont quant à eux plus difficiles à détecter, car ils font partie d’une organisation plus systématique dont l’école est un rouage essentiel. Les questions d’égalité en font partie. Pourtant, lorsqu’on n’y prête pas attention, elles ont un impact à long terme sur les futur.e.s citoyen.ne.s que sont les élèvent, qui risquent alors de participer à reproduire les mêmes schémas profondément inégalitaires. Donner la même place physique aux filles et aux garçons dès l’école, c’est leur donner le même espace pour se déployer dans les différentes activités, et leur apprendre dès le départ qu’ils et elles ont droit à une place équivalente dans la société.
Le travail fait par la fédération Wallonie-Bruxelles sur les établissements scolaires, offre des opportunités afin de travailler sur cette thématique. Nous devons envisager les différentes dimensions liées aux rénovations et aux constructions à l’aune du bien-être des élèves. Or, l’occupation et l’utilisation physique des espaces de façon égale entre les garçons et les filles, font partie des éléments essentiels au bien-être de toutes et tous. On pourrait en citer d’autres, comme le fait de remettre la nature au coeur des écoles.
Dans l’organisation de l’école telle qu’elle existe aujourd’hui, une réflexion visant à encourager ces réflexions mais aussi à donner des outils aux acteurs de l’école, est indispensable afin qu’une nouvelle culture d’occupation des espaces scolaires puisse progressivement se mettre en place.
Lire à ce sujet l’article de la DH.
Découvrir également le rapport de La Ligue sur la question de la mixité dans l’espace public.