Le budget 2025 crée un malaise profond dans le secteur de la petite enfance. Pourtant, déjà pendant la campagne électorale et encore aujourd’hui, le MR et Les Engagés promettaient d’en faire une priorité. Aujourd’hui, ce Gouvernement impose des économies d’une ampleur que personne n’avait vue venir. Et derrière les mots rassurants — “responsabilité”, “modération”, “recentrage” — la réalité est tout autre : ces coupes budgétaires affaiblissent un secteur déjà épuisé, menace les droits des enfants et risque de démanteler vingt années d’avancées patiemment construites.

La première annonce qui aura des répercussions directes sur le nombre de places : le gel de l’indexation des subventions. C’est la technique la plus hypocrite pour couper dans les budgets sans jamais prononcer le mot “coupes”. Une méthode insidieuse, parce qu’elle oblige les crèches à accomplir les mêmes missions… avec moins de moyens. Les frais de personnel, de matériel, l’énergie, tout va augmenter, mais les subventions publiques reçues resteront au même montant. Résultat : certaines structures seront en déficit dès 2026 et, le secteur le craind, en faillite prochainement. D’après les experts, c’est même la première fois que certaines structures pourtant financièrement très stables vont se retrouver à mettre la clé sous la porte. Et les familles risquent de payer l’addition, ces mêmes familles déjà ciblées par la fin des repas scolaires gratuit, la fin du matériel scolaire gratuit, ou la hausse des frais d’inscription en haute-école et université. Ce gel, combiné à d’autres mesures, crée un effet mécanique : une perte nette de places. Les structures ne seront plus capables d’assurer leurs horaires, de palier aux absences des puéricultrices et fermeront des sections. Cela représente des milliers de familles plongées dans l’impasse. Et une pénurie qui ne fera que s’aggraver, car déstabiliser le secteur prend une décision ; reconstruire un réseau prend des années.

Vient ensuite la mesure la plus symbolique du recul actuel : l’abandon de la réforme sur l’encadrement des bébés. La norme 1,5 ETP puéricultrice pour 7 bébés, qui devait devenir obligatoire et financée, est abandonnée. Elle devient « une bonne pratique ». Mais en politique, ce qui n’est pas financé n’existe pas. Et affaiblir l’encadrement, c’est affaiblir la qualité de l’accueil : moins d’attention individuelle, plus de stress, plus de risques psychosociaux pour les équipes, moins de sécurité pour les enfants. Rien, absolument rien, dans cette mesure, n’est justifié par la science, par la pédagogie ou par la santé des bébés.

Ce recul touche aussi un maillon essentiel mais invisible : les 600 places d’accueil d’urgence prévues par la réforme et désormais abandonnées. Ces places sont vitales pour protéger un enfant en danger, pour agir en cas de maltraitance, pour offrir une solution immédiate quand l’urgence l’exige. Pour rappel, rien qu’en 2024, plus de 6000 signalements de maltraitance ont été analysés. 1/4 de violences physiques, 1/4 de violences sexuelles et 1 bébé sur 10 en situation de maltraitance grave. Retirer ces places d’urgence, c’est retirer un outil fondamental de protection de l’enfance.

Tout aussi alarmant : la méthode. Le Conseil d’Avis de l’ONE parle de conditions “indignes d’un travail sérieux”, d’absence de consultation, et de non-respect des règles élémentaires de gouvernance. Et les représentantes du secteur, n’en parlons pas. Elles étaient d’ailleurs présentes en nombre dans les tribunes du Parlement pour assister aux débats.

Derrière chaque place qui disparaît, sous tend une question d’égalité. Quand le secteur s’effondre, ce sont les femmes qui trinquent. Ce sont elles qui majoritairement interrompent leur carrière faute de solution d’accueil. Ce sont elles, surreprésentées parmi les puéricultrices, qui perdront leur emploi. Une politique de petite enfance qui réduit l’encadrement, gèle les moyens et laisse fermer des crèches… est une politique qui dégrade doublement les droits des femmes.

Les bébés n’ont pas de syndicats, pas de petits pieds assez fort pour venir manifester au Parlement. Alors c’est à nous de les protéger. Considérer leurs besoins comme “négociables”, les voir comme des chiffres et des valeurs d’ajustement budgétaire, c’est déjà leur faire payer le prix d’une société qui dysfonctionne.

Au final, ce budget n’est pas une simple opération comptable. C’est un choix de société. Une manière de dire quelle place on accorde à l’enfance, à celles qui travaillent avec les tout-petits et aux familles. Et la réponse du Gouvernement est douloureusement limpide : la petite enfance n’est pas une priorité. Elle est une variable d’ajustement.